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Introduction


[This text in English]

    Je n'ai jamais eu aussi peur de ne plus jamais retrouver le silence. J'ai l'air calme, mais ce bruit de fond que personne ne semble remarquer me terrorise. Il n'est pas méchant en soi, pas particulièrement audible, mais je le perçois sans interruption et j'ai dans les nerfs une ouverture, une fissure qui ne le supporte pas — qui s'enflamme à son approche (et il ne part jamais) comme si la vie de ce à quoi elle mène en dépendait. Il est tout à fait possible qu'elle en dépende. La fissure est, pour le moment, encore assez active pour arriver à intercepter le bruit avant qu'il parvienne à se glisser en elle. Mais pour combien de temps ?

    Il n'y a rien dans ma vie ni dans le monde dont elle dépend qui paraisse contribuer à rendre la fissure plus étroite, plus difficile à traverser. Elle ne « guérit » pas d'elle-même, elle n'a pas cette vertu qui contredirait sa nature même. On pourrait s'interroger sur son origine, mais ça ne mènerait au fond à rien. On pourrait aussi essayer de décrire et d'expliquer ses phases, ces périodes où elle semble se transformer en blessure purulente, ces autres où elle donne l'impression de cicatriser — mais, là encore, on finirait par buter sur le constat qu'une telle observation ne change rien à l'affaire.

    J'entends et, par conséquent, je suis sensible. Il m'est même impossible de concevoir qu'il puisse y avoir ainsi tant de gens qui entendent sans que cela les perturbe le moins du monde, dont le processus de la perception semble toujours s'arrêter quelque part avant que le signal atteigne le domaine de leur sensibilité. (Je me demande d'ailleurs comment ils arrivent en fait à sentir quand cela est bel et bien nécessaire.)

    Il peut s'agir d'un bruit de télévision dans la pièce voisine, d'un moteur de réfrigérateur qui se met en marche, d'un vent qui fait vibrer les éléments de construction de l'édifice de telle ou telle manière, des bruits d'échappement ou de moteur des véhicules sur la route plus ou moins proche (il y a toujours une route plus ou moins proche).

    Si j'étais neurasthénique, je dirais que ce « bruit de fond » (il n'y a pas de fond pour moi, tout est toujours au premier plan) me rend fou. Mais je ne suis pas fou et ce bruit n'y change rien. Il me fait tout simplement peur. Il suscite une angoisse irrépressible qu'aucune velléité de résignation ne semble pouvoir venir étouffer. Je ne peux pas plus me résigner au bruit que ne pas l'entendre.

    J'évoquais au début l'idée d'une évolution, d'une intensification de la peur. En fait, je me rends compte maintenant qu'il n'en est rien — que cette peur, aussi virulente soit-elle, reste sourde et que j'ai toujours craint le pire sans vraiment arriver à l'envisager. C'est une crainte qui ne se résorbera jamais, ni par excès ni par défaut. Pourquoi est-ce que je m'y attarde, alors ? Parce que cela ne la rend pas plus supportable. Parce qu'il faut arriver à concevoir l'idée d'un état insupportable qui n'a jamais cessé et ne cessera jamais de l'être. Vous me direz que je semble arriver à le supporter, dans une certaine mesure, puisque j'en parle ainsi, etc. Si vous pensez cela, c'est que vous n'avez aucune idée — et c'est peut-être à vous surtout que ceci s'adresse.

    Il est temps de reconnaître la réalité du caractère insupportable des choses qui le sont. Il est temps de dire la souffrance avec la souffrance. Il est temps de se révolter, non pas pour remédier à tout cela (puisque c'est irrémédiable), mais pour en faire du beau — du beau qui n'y change rien mais qui change tout. Du beau qui soulage ceux qui croient encore pouvoir être soulagés. Du beau qui séduise ceux qui n'ont aucune idée. Du beau qui fasse pleurer ceux qui ne peuvent pas s'en empêcher. Du beau qui ne contourne pas la nécessité d'affirmer qu'il ne sert à rien — qu'il ne fait tout au mieux qu'apprendre à ceux qui n'en connaissent pas encore l'origine à ne plus le nier, comme ça, pour rien.

    Il n'y a dans tout cela ni rien, ni tout, ni quelque chose. Vous n'avez compris que ce que vous pouviez comprendre. Il n'y a à cela rien de clair ni d'énigmatique. Le texte est souple, il colle à la peau et il ne protège de rien. Le texte dit qu'il dit sans transparence. Il chante un chant creux dont les paroles ont le sens de la musique et la musique sombre. Il n'est ni noir, ni gris, ni blanc, ni miroir. Vous avez essayé de me toucher la joue mais une sirène a retenti dans le lointain et le ciel ne s'est pas illuminé. La sirène s'est arrêtée mais je distingue maintenant de petits éclairs cycliques entre les pans des rideaux, sans doute causés par la réflexion du gyrophare sur quelque vitrine sans volet. Il est possible qu'il y ait une altercation dans la rue voisine, mais elle ne se distingue pas de la voix du reporter à la radio de l'autre côté du mur. Quand il parlera de cette altercation, il y en aura une autre. L'autre voisin tirera la chasse d'eau pendant que le bain coule quelque part au bout d'un tuyau. Il y a un petit sifflement par-dessus tout ça mais c'est peut-être la cafetière que j'ai oublié d'éteindre tandis que je pensais aux bateaux à moteur dans la baie. Je pense tout le temps aux bateaux à moteur dans la baie. Ma vie sexuelle s'en ressent. On ne fait pas d'aveugles sans casser des yeux. L'onomatopée ne rendrait pas bien le son. Tous les bruits mènent au beau. Je partage avec vous ce qu'il me reste. C'est peu, mais ce n'est pas rien. Non que ça compte pour quelque chose. Au point où on en est. Il veut les gens dont il parle. Il veut les filles qui sortent nues et les garçons qui se touchent avec un crayon. Il veut les monuments historiques aux morts de la révolution étouffée dans l'oeuf. Il veut les eaux du montage and then some. Il s'offre un troupeau de culs rassemblés qui flambent. Ça n'a pas les vertus du silence absolu mais ça brûle. Quand ça brûle, le bruit s'intensifie. Quand ça refroidit, le bruit diminue. J'ai déjà essayé de vous décrire le sens relatif des écarts. Voici le sang digestif d'un anus qui éclate — et qui fonctionne.


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