C - DAYS 22 & 23


C'est l'incapacité de faire ordinairement des choses ordinaires qui me mine encore (quoique sur un plan de plus en plus purement « intellectuel » — ou du moins j'essaye de m'en convaincre).

J'en veux pour preuve la « promenade » d'hier après-midi, qui s'est avérée être un véritable cauchemar. Il faisait très gris, mais il n'y avait pas de vent et il ne faisait pas particulièrement froid. Ce sont ordinairement des conditions qui ne m'affectent pas — et elles ne m'ont pas affecté. Tout est venu de l'intérieur. Je pensais me sentir raisonnablement bien. J'avais, la veille, fait une promenade qui n'avait pas semblé avoir d'effet négatif, sans forcer, sans traîner non plus, juste d'un pas normal. Je suis reparti au même rythme, espérant tacitement arriver au même résultat.

Il n'a fallu que quelques dizaines de mètres pour que cela commence. Cela m'arrive régulièrement, avec une intensité plus ou moins mémorable, mais cette fois-ci ça a été un peu trop quand même. J'ai littéralement eu des renvois gastriques à peu près tous les dix pas sur toute la longueur de la promenade, c'est-à-dire sur cinq kilomètres sans discontinuer. Pas de gros renvois qui font affreusement mal mais qui passent (ça arrive parfois), mais de petits renvois qui ne passent pas et qui font juste assez mal pour que l'accumulation devienne progressivement insupportable. J'ai essayé de temps à autre de m'arrêter pendant quelques secondes, non pas pour reprendre mon souffle, que je n'ai jamais perdu, mais pour respirer profondément et essayer de détendre mon abdomen, de faire passer la chose. Rien à faire. Je recommençais à marcher et les renvois reprenaient, ni plus forts ni moins forts, mais systématiques, tous les dix pas. Au bout des deux kilomètres habituels, il a bien fallu que je constate que le mal de dos en avait profité pour revenir en force lui aussi. Je me suis arrêté, j'ai essayé d'étirer ma colonne vertébrale, j'ai levé les yeux au ciel et j'ai fait demi-tour. Ça ne s'est pas amélioré. Je suis arrivé à la maison en piteux état. Évidemment, le mal de dos et les renvois se sont calmés une fois que je me suis arrêté, mais je savais dans mon for intérieur que j'étais foutu pour la soirée. J'ai essayé de prétendre que non, de prendre ma douche, de faire la cuisine, de manger comme si je n'allais rien ressentir d'autre, mais il a bien fallu que ça revienne avant l'heure d'aller se coucher. Et c'est revenu environ une heure après la fin du repas sous la forme d'une grosse douleur centrale, en plein milieu du ventre, impossible à apaiser. Intestin grêle, je suppose. Quoi ? Je ne sais pas. Ça a duré jusqu'à ce qu'on aille se coucher et que je m'endorme avec.

Je me suis réveillé sans, mais avec le mal de dos habituel dans toute sa splendeur, les hésitations gastriques habituelles aussi près de la surface que possible, tout ce qu'il faut pour avoir peur du jour qui vient avant même d'avoir mis le pied à terre. J'attends avec impatience le jour où, par hasard, à cause de quelque chose que j'aurai fait ou que je n'aurai pas fait, je me réveillerai sans mal de dos et avec un certain appétit, non seulement pour le petit déjeuner, mais pour le jour qui se présente. Pour le moment, je me force encore, sachant pertinemment que les choses vont évoluer, qu'il va y avoir d'autres aléas, d'autres douleurs à subir ou d'autres moments de répit à essayer d'arrêter de compter.

Et il y a eu de tout cela aujourd'hui, comme il se doit. Des maux de tête et de ventre surtout, le dos s'étant vu épargner la promenade quotidienne à cause des intempéries. Une heure de tête complètement prise par cette espèce de bourdonnement continu sans vibration, d'étourdissement statique, spaced out, comme ils disent en anglais, à force d'essayer de décrire mes symptômes à des médecins anglais, je ne sais plus comment les décrire en français — et puis une autre heure d'authentique mal de tête presque jusqu'à la nausée, du sommet du crâne jusqu'aux sinus des deux côtés du nez (ou dans l'autre sens, qu'est-ce que j'en sais), ça n'arrive pas trop souvent avec cette force-là, d'habitude, c'est surtout mal aux sinus, mais là, pour le coup, j'ai eu la dose. Le premier symptôme s'est avéré être intimement lié à l'état du ventre, puisque des changements de position affectant la circulation des gaz et quelques tentatives de « distraction » physique affectant sans doute tout le système ont fini par en diminuer l'intensité. Le second s'est plus ou moins effacé avec le repas du soir et deux fois 500 g de paracétamol. Il revient maintenant par contre sous une forme différente, avec carrément une sensation de percement des deux côtés juste au-dessus des oreilles, j'ai déjà eu ça avant, ça perce vraiment comme si on m'enfonçait des pointes des deux côtés du crâne, c'est vraiment presque une torture, heureusement, en général, ça ne dure pas, parce que, sinon, je ne saurais vraiment pas quoi penser, mais il y a aussi ce mal de dos qui ne part jamais vraiment et qui reprend ses aises avant qu'on aille se coucher, n'est-ce pas, histoire qu'on n'aille pas s'imaginer que le sommeil pourrait vraiment être réparateur pour une fois. Et puis ces crampes sur le côté gauche de la poitrine, comme d'habitude, avec tout de suite l'impression d'avoir la gorge prise, de la morve à avaler, ça, ça fait cinq ans que ça dure, au cas où j'aurais oublié de le mentionner.

Bref, rien de bien passionnant. Assez pour gâcher la journée quand même, en faire une autre journée de sur-place, je dis, je me dis qu'il y a des progrès, mais ce n'est certainement pas sur une journée comme celle-ci que je les perçois.

Le monde tourne, les gens râlent, la pluie tombe, d'autres gens crèvent, je vais aller essayer de lire quelque chose d'intéressant, non seulement faut-il trouver quelque chose d'intéressant, mais il faut aussi arriver à le lire, j'ai aussi eu de terribles coups de fatigue aujourd'hui, alors que, pour autant que je sache, je dors assez, et d'ailleurs ce ne sont pas des envies de dormir, c'est de la pure fatigue, comme si elle était d'origine chimique, j'essaye d'arrêter les calmants, alors je ne sais pas, c'est peut-être lié, ce serait bizarre, quand même, mais on ne sait jamais, en tout cas cette fois j'arrête doucement... tout doucement.

C - Days 20 & 21 C - Days 24-27

© 2000 Pierre Igot

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