C - DAYS 28 & 29


Surprise : pour la première fois depuis des années, une analyse est revenue avec un résultat « positif ». On a trouvé quelque chose. Un parasite intestinal nommé blastocystis hominis. Mais en fait c'est presque comme si on n'avait rien trouvé : ce parasite est assez répandu et bon nombre de personnes infectées n'ont jamais de symptômes. Comme toujours, on soupçonne l'organisme de ne devenir pathogène que dans un environnement favorable, c'est-à-dire (surtout) lorsque l'individu souffre de déficiences immunitaires (sida), etc. Ce n'est pas l'organisme qui est nocif, c'est l'environnement, en quelque sorte.

Il n'en reste pas moins qu'il est possible que le parasite soit en partie responsable de mes symptômes. Mais je ne saurai pas si je n'essaye pas de l'éliminer. Le problème, c'est que le traitement est assez brutal : 750 mg de Flagyl trois fois par jour pendant dix jours. Une si forte dose d'antibiotiques pendant une si longue période, cela ne peut pas ne pas faire de mal. Et les effets secondaires connus concernent principalement le système digestif, ce qui n'est évidemment pas pour me réjouir : je viens à peine de retrouver un peu de paix avec les calmants, et il faut que je recommence à m'infliger toutes sortes de douleurs, de nausées, de vomissements peut-être même, en espérant qu'il n'y aura rien de pire (il y a de rares cas de complications plus graves).

Mais je n'ai pas vraiment le choix. Dès qu'on cherche un peu, on trouve évidemment les commentaires prévisibles de ces prétendus « docteurs en naturopathie » (à défaut de « MD », on se contente de « ND ») qui, pour autant que je puisse dire, n'ont rien de doctoral dans leur formation et profitent bien ces temps-ci de la faiblesse psychologique des gens face à un système médical devenu trop impersonnel. En l'occurrence, d'après eux, il est très difficile de se débarrasser du parasite et il faut adopter une approche « naturelle » combinant divers produits (valant chacun son pesant de safran) de façon prolongée et systématique. Et bien sûr, comme par hasard, puisqu'un malheur n'arrive jamais seul, quand on a ce parasite, on a sans doute aussi la fameuse levure candida albicans et les deux sont complices. Tout un programme en elle-même, cette levure, d'ailleurs, et vous trouverez sur le Net et ailleurs une pléthore de « ND » et autres « RH » — nouveau pour moi, celui-là, « Research Healthologist », imaginez voir ça, « santéologue chercheur » ! — tous prêts à vous vendre leur remède miracle à coups d'herbes pseudo-chinoises et de lavements sous haute pression à répétition.

Bref. Aucune note de bas de page dans ces documents, aucun renvoi à la moindre publication scientifique. On y croit ou on n'y croit pas, n'est-ce pas. Tout ça pour dire que je suis infecté, mais qu'il n'y a rien qui prouve, scientifiquement ou non, que cette infection soit la cause de tout ou partie de mes symptômes. Il y a même des signes qui suggèrent assez clairement le contraire. Mais tant que je n'aurai pas essayé le traitement, je ne saurai pas. Ou plus exactement je saurai moins. J'aurai plus de doutes — et dans mon état le doute n'aide pas. Alors je me lance.

Début du traitement lors de la vingt-huitième journée à midi. Avec des capsules d'acidophilus et de bifidus pour compenser l'effet destructeur des antibiotiques sur la flore intestinale « saine », quand même. Mais ça fait un peu peur, tout ça, quand même, soyons franc.

Pour bien faire, je devrais ramifier le présent compte rendu, commencer une branche « F - Day X » parallèlement à « C - Day X », etc. Et puis il y a aussi le R, bien sûr. Mais bon. Ça ne m'avancera pas à grand-chose d'essayer d'être encore plus formel au point où j'en suis. Disons que je parlerai des deux médicaments en même temps, pour autant que j'arrive à faire la distinction entre les effets de l'un et ceux de l'autre.

Pas question d'avaler la moindre dose d'alcool avec le F, mais ça ne risque pas d'arriver, puisque je suis déjà au régime de sobriété intégrale avec le R. Ça tombe bien. Faisons tout d'un coup. On se reparle dans dix jours. (C'est tentant.)

J'en suis déjà à la quatrième dose (32 heures de traitement). Comme un prisonnier, je compte le nombre de doses qu'il me reste. Trois pilules de 250 mg trois fois par jour. 90 en tout. 78 encore à prendre. Je suppose que le produit s'est déjà bien répandu dans mon corps maintenant. Les effets secondaires ne sont pas encore violents, mais sont bien présents. Ils ressemblent assez (douleurs abdominales, bouffées de chaleur, mauvais goût dans la bouche, mal de tête, etc.) à ce que je ressens les derniers temps quand je ne me sens pas bien et que je ne prends pas de calmant, alors au moins je ne vais pas commencer tout de suite à me laisser envahir par l'inquiétude ou la panique. Mais ça risque d'empirer dans les quelques jours qui viennent. D'après notre cher ami Galland, qui parle des parasites intestinaux en long et en large, certaines personnes souffrent assez violemment pendant une bonne partie du traitement, plus violemment qu'elles n'ont jamais souffert avant, comme si le corps se « détoxifiait » et que cela amplifiait tous les symptômes avant de les faire disparaître. (C'est un effet bien connu, paraît-il, et cher aux naturopathes, qui lui ont même trouvé un nom qui m'échappe maintenant.) Mais ils ont le sentiment d'être guéris après. Il va falloir faire preuve d'un peu de courage. Et continuer d'espérer, si les symptômes empirent, que la guérison (partielle ou totale) sera au bout du tunnel.

J'ai déjà pris cet antibiotique en 1995, en fait, lorsqu'on avait trouvé du helicobacter pylori dans mon estomac et qu'on avait pensé, sans trop de conviction, que c'était la cause de mes troubles gastriques à l'époque. (L'hypothèse scientifique la plus récente est que cette bactérie, qui réside dans l'estomac, est à l'origine d'une bonne partie des ulcères gastriques dans le monde occidental. En fait, ici encore, bon nombre de personnes sont porteuses de la bactérie sans souffrir d'aucun symptôme.) Il fallait prendre deux antibiotiques (dont le F) et un autre produit encore en même temps pendant sept à dix jours. J'ai tenu six jours. Comme le médecin lui-même n'était vraiment pas convaincu que cette bactérie était la cause de mes problèmes (il n'avait pas trouvé de trace d'ulcère lors de son endoscopie, alors même que c'était lui qui m'avait traité pour un ulcère pendant plus de deux mois, sans grand succès, évidemment), j'ai laissé tomber un peu avant la fin, parce que je me sentais si mal. Mais je me sentais très très mal à l'époque avant même de commencer le traitement. Je ne prenais rien d'autre, à l'époque, et ma situation mentale était assez pitoyable. Je ne crois pas, en dépit de tout, qu'on puisse en dire autant aujourd'hui.

Il faut revenir à toute cette histoire d'agent infectieux et d'environnement propice à l'apparition d'une pathologie. C'est le coeur du problème. On est en train de découvrir tous ces micro-organismes et de s'en emparer sans autre forme de procès pour en faire les coupables désignés de toutes sortes de problèmes chroniques restés longtemps inexpliqués. En même temps, on reconnaît que les observations montrent bien que nombre de patients sont « porteurs » sans manifester le moindre symptôme. Mais on essaye quand même d'éradiquer l'agent chez ceux qui ont des symptômes. C'est une approche assez douteuse, au fond. Parce que, en toute logique, si l'agent infectieux ne provoque pas d'infection chez les uns, c'est que la véritable cause de l'infection chez les autres n'est pas l'agent infectieux lui-même, mais une certaine prédisposition, une certaine faiblesse immunitaire ou autre (d'ailleurs clairement diagnostiquée chez les malades du sida, par exemple). Et c'est la cause de cette faiblesse elle-même qu'il faudrait essayer de trouver et de traiter. Au lieu de cela, on essaye d'éliminer l'agent infectieux, qui est forcément difficile à éliminer (parce qu'il fait partie de nous depuis si longtemps), au moyen de traitements toujours plus violents et plus dangereux, soit par leurs effets secondaires soit du fait qu'ils risquent de favoriser l'apparition de formes encore plus résistantes de l'agent infectieux en question.

Pourtant, quand on est dans une situation comme la mienne, avec l'état d'esprit qui est le mien et la formation scientifique que j'ai reçue et dont j'ai peu d'espoir d'arriver à réduire l'importance dans ma façon de penser, on est presque contraint de se laisser faire. Parce qu'on n'arrive pas à envisager d'autre solution. Les médecines dites « parallèles » sont de toute évidence des approches bien trop approximatives, bien trop douteuses en elles-mêmes pour qu'on puisse ne serait-ce que commencer à accepter l'idée qu'elles soient valables. Et il n'y a rien d'autre.

Au mieux, donc, ces antiobiotiques vont détruire le parasite et peut-être soulager certains de mes symptômes chroniques. Mais ils ne m'empêcheront pas d'attraper à nouveau par la suite le même parasite ou un autre — et surtout ils ne régleront pas le problème sous-jacent, qui semble être que quelque chose dans mon corps me rend sensible à la présence de ce type de parasite. À moins que tout le raisonnement soit faux, bien entendu, et que le parasite n'ait rien à voir avec mes symptômes.

Au pire (sans envisager pour l'instant la catastrophe que serait l'irruption d'effets secondaires graves), les antibiotiques ne régleront absolument rien et il s'agira alors de trouver une autre approche, c'est-à-dire soit une autre façon de « cohabiter » avec ces agents infectieux — certains parlent de commensalisme — soit une manière de mettre en évidence ce qui est véritablement à l'origine de mes symptômes et qui n'a peut-être rien à voir avec la présence de micro-organismes étrangers, pathogènes ou non.

C'est fou ce qu'on s'amuse.

En attendant, j'observe aussi dans ma pensée une évolution assez notable. Après la bouleversante année 1995, je m'étais mis à penser que j'avais tout faux en ce qui concernait les maladies chroniques inexpliquées, les personnes souffrant d'allergies, etc. Avant que tout cela me tombe dessus, en effet, en dépit de mes symptômes digestifs chroniques mais « gérables », j'étais plutôt du genre à penser que les malades chroniques qui ne souffraient pas d'une « vraie » maladie (comme un cancer, une maladie cardio-vasculaire, etc.) étaient des êtres qui se prédisposaient eux-mêmes à souffrir de leurs problèmes de santé et avaient une attitude de soumission au corps, de passivité qui aidaient ces problèmes à devenir chroniques, permanents. En bref, je m'empressais généralement de ranger ces êtres dans une catégorie bien définie pour moi et dont j'étais inconsciemment fier de ne pas faire partie.

Après 1995, je suis un peu tombé dans l'excès inverse. Je me suis mis à penser non seulement que je faisais partie de cette catégorie, mais aussi que les problèmes de santé en question étaient bien réels, que la communauté scientifique n'avait tout simplement ni l'envie ni les ressources nécessaires pour enquêter de façon systématique et approfondie sur ces maux « secondaires » (qui ne tuent pas, qui ne sont pas contagieux) et que c'était un triste état de fait dont j'étais une des malencontreuses victimes.

Depuis quelques jours, je constate un léger revirement. Je ne vais jamais revenir à ma position d'avant 1995, c'est certain. Et ma vision assez déprimante du système de santé actuel dans les sociétés occidentales reste la même. En revanche, je recommence à me dire que certaines histoires d'« allergies » sont bien exagérées et ne sont pas plus près de la vérité que l'absence d'explication proposée par la médecine traditionnelle. Ce revirement est, je crois bien, venu suite à ce qui s'est passé au début de la semaine et à l'effet presque miraculeux des calmants, dont il a bien fallu que j'observe la réalité dans mon propre cas. Lundi matin, en pleine crise, j'en étais à me demander pour la centième fois si mon état catastrophique était lié, d'une manière ou d'une autre, à quelque chose que j'avais mangé ou bu la veille. Les jours suivants, après le retour au régime de trois calmants quotidiens, j'ai été forcé de constater que je pouvais de nouveau manger à peu près n'importe quoi sans ressentir d'effet particulier sur le plan digestif et que, au contraire, s'il y avait des aliments susceptibles de provoquer des réactions négatives dans mon système digestif, c'était plutôt ceux que je me forçais à consommer depuis quelques semaines (comme le lait de soja ou la tisane au gingembre) à la place des aliments que j'avais toujours consommé sans trop de problèmes et que, tout d'un coup, je soupçonnais, sans doute à tort, d'être à l'origine de tous mes maux. J'ai d'ailleurs arrêté de consommer ces aliments « de substitution » ou aux prétendues vertus curatives — et je ne semble pas m'en porter plus mal. (Énoncé qu'il est délicat pour moi de proférer en ce moment, je m'en rends bien compte, mais enfin il faut quand même que j'essaye de traduire ce que je ressens.)

Comme dit, je ne vais pas me remettre à penser que les allergies, ça n'existe pas, que seules les personnes qui « le cherchent » finissent par souffrir de maux chroniques inexpliqués (surtout que, pour l'heure, je fais encore partie de cette catégorie), mais j'ai sans aucun doute désormais une vision un peu plus nuancée de la question. Pour moi, une véritable allergie se manifeste sous la forme de véritables symptômes. Quand C. découvre que son épiderme est tout recouvert de plaques rouges après s'être allongée nue sur l'herbe pendant une demi-heure et qu'elle se met à avoir le nez qui coule de façon incontrôlée, il est clair pour moi qu'il s'agit d'une réaction allergique. Mais quand j'ai horriblement mal au ventre et qu'on me dit que c'est parce que je suis allergique au blé, au lactose ou à je ne sais quel autre aliment que j'ai toujours consommé sans problèmes digestifs graves, là, je suis très clairement sceptique. S'il n'existe pas de test qui prouve de façon scientifique la corrélation ni de symptômes qui montrent de façon claire qu'ils sont liés à l'aliment ingéré, je ne marche pas. Parce qu'on retombe tout simplement dans le domaine des hypothèses sans fondement où l'on peut raconter tout et n'importe quoi et proposer toutes sortes de traitements farfelus en se contentant d'avancer pour preuve que « ça a marché pour certaines personnes ».

Ce parcours de ma réflexion est sans doute bien banal vu de l'extérieur, mais quand on est plongé « en plein dedans » et depuis longtemps comme je le suis, ce sont des étapes à franchir, et ce n'est pas nécessairement évident.

J'espère simplement que c'est une étape constructive et qu'il va y en avoir d'autres.

En attendant, c'est bientôt l'heure des 750 mg suivants.

C - Days 24-27 C - Days 30 & 31

© 2000 Pierre Igot

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