C - DAYS 32 & 33


C'est quand même bizarre que, en plein milieu d'un double (ou même triple) traitement comme celui que je suis en train de suivre, je me sente presque dans un état normal. Oh, il y a bien quelques bouffées passagères de fatigue ou de faiblesse, quelques velléités d'étourdissement, un mauvais goût qui remonte de temps à autre, quelques douleurs ici et là qui ne devraient pas y être — et je n'ai pas vraiment essayé de faire le moindre exercice depuis deux jours, à part une modeste promenade sur la plage de M*** hier soir avec C. et son amie —, mais dans l'ensemble je ne me sens pas trop mal, mieux en tout cas qu'il y a deux semaines, et cela fait bizarre. J'arrive à manger, j'arrive à dormir, j'arrive à rester seul, j'arrive à sortir — j'ai encore du mal à traîner un vieux réservoir pesant de chauffe-eau avec l'employé venu installer notre système de traitement de l'eau sur trente mètres, mais là, j'ai des excuses, quand même.

Le prochain test, je crois bien, sera l'arrêt des médicaments. Brutal dans un cas, progressif dans l'autre. Ce sera pour le mois de juillet.

En attendant, je ne sais pas s'il faut que j'essaye de tirer des conclusions ou s'il faut simplement que j'attende. J'ai trop eu tendance, les derniers temps, à espérer trop vite une amélioration qui ne s'est jamais matérialisée. Je vais sans doute être tenté, maintenant, d'être trop prudent, trop « pessimiste » — mais je ne veux pas que cela influe sur le résultat ultime de toute la procédure, qui comporte quand même son lot de facteurs psychologiques. C'est une situation délicate, tout ça.

Un gastroentéro dans une semaine, une psychologue dans trois semaines, un psychiatre sans doute dans le mois qui vient — je vais avoir pas mal d'explications à donner et bon nombre de choses vont dépendre de la capacité que j'aurai de convaincre, de séduire, de susciter une certaine compassion. Délicat quand tout d'un coup on semble se trouver sur la pente ascendante ou du moins à un palier. Il semble a priori plus facile de convaincre quand on est en pleine crise et qu'on « craque ». D'un autre côté, les individus en question en voient sûrement bien trop, de ces crises, pour être vraiment affectées par elles. Il s'agit en fait de trouver un certain équilibre, je suppose, de ne pas avoir l'air de se porter trop bien, mais de ne pas non donner l'impression qu'on exagère ce qu'on ressent — et cet équilibre dépend sans doute à chaque fois de l'interlocuteur, de son propre « degré de sensibilité ». Petit jeu auquel il va falloir se livrer — en anglais, évidemment — à plusieurs reprises dans les semaines qui viennent. Je suppose que je suis mieux préparé cette fois-ci que je l'étais en 1995 — où j'étais d'ailleurs quasiment dans un état de crise permanent.

Dans tout cela, le C fait son petit bonhomme de chemin, je suppose — enfin, je l'espère. On saura vraiment quand on aura arrêté le reste. Cela ne fait après tout qu'un peu plus de deux semaines à 40 mg par jour, ce n'est pas vraiment encore le moment de déterminer si cela marche ou non.

Je continue aussi à prendre toutes sortes de « suppléments » (acidophilus, vitamine C, vitamine E, sélénium, calcium-magnésium, etc.), ce qui fait de moi une véritable machine à consommer des pilules... C'est un peu idiot, dans la mesure où ce n'est pas très scientifique comme approche et ça ne me permet certainement pas de déterminer si ces suppléments contribuent le moins du monde à améliorer mon état de santé. C'est le côté absurde quand on se trouve en état de crise, que les médecins ont jeté l'éponge et qu'on est seul face à quelques livres plus ou moins bien écrits et la nécessité quasiment absolue de prendre son propre traitement en charge avant qu'un véritable désastre se produise. On se précipite un peu alors sur toutes sortes de théories plus ou moins valables ou convaincantes (le magnésium est utilisé depuis des années contre la douleur en Europe, les antibiotiques détruisent aussi la flore intestinale — les « bonnes » bactéries — et il faut non seulement accélérer la reconstitution de cette flore, mais aussi éviter les problèmes de malabsorption éventuels, c'est-à-dire en particulier les carences en vitamines et en minéraux, etc). Que des théories, je vous dis, mais je n'ai pas vraiment peur que ces suppléments me fassent du tort, alors je prends.

Un des effets secondaires assez étranges et bien connus du F est aussi qu'il rend l'urine beaucoup plus foncée. Ça fait un peu bizarre, tous les matins, de pisser et de voir la cuvette se remplir d'un liquide presque brunâtre. (Pendant la journée, je bois tellement que tout cela est fort dilué et se remarque beaucoup moins.) En d'autres temps, je me serais inquiété, même affolé, mais là, je suis prévenu, vive Internet.

C'est quand même drôle, le temps que j'ai pu passer, au cours des cinq dernières années, à me pencher sur la cuvette des toilettes et à contempler mes excrétions solides, liquides et intermédiaires dans l'espoir d'y trouver l'indice de quelque chose. Il faut parfois écarter le papier toilette qui traîne et qui bloque la vue. Ce sont des gestes qui s'apprennent.

Pour les analyses qui ont mené à la découverte du parasite, il a fallu carrément chier sur un film plastique. J'ai bien aimé leurs recommandations : pissez d'abord dans la cuvette, puis placez le film plastique et chiez dessus afin de pouvoir ensuite choisir les morceaux qui ont l'air le plus suspect et en extraire à la cuiller les petits morceaux à mettre dans cette solution qui les « fixe » et en fait, après agitation, une soupe prête à l'analyse. Il ne faut surtout pas que les selles tombent dans la cuvette ou que l'urine entre en contact avec elles. Je ne sais pas pour vous, mais moi, en général, quand ça vient, je chie d'abord et je pisse ensuite. Avec un film plastique, ça devient tout d'un coup beaucoup plus acrobatique. Mais au bout de deux ou trois fois (j'avais déjà fait ça une fois en 1995, avec un résultat négatif), on trouve le truc : on met le film plastique en « cuvette » bien coincé sur les deux bords de la cuvette WC (faut pas le tendre, y aurait plus de place pour la merde en dessous des fesses !) et on laisse une ouverture à l'avant, pour l'évacuation du liquide, quel que soit le moment où elle choisit de se produire. Après tout, on a quand même les moyens de définir sa « direction générale ». Ah, j'ai fait ça bien, la dernière fois, si si. C'est peut-être pour cela que les résultats de l'analyse se sont avérés positifs. Qui sait, qui sait.

Je n'ai pas demandé à C. comment elle s'y est prise exactement.

Difficile de ne pas être un peu fasciné quand même par cette matière brune fumante qui contient peut-être la clef de l'énigme. Difficile d'accepter le fait que la gente médicale n'éprouve pas la même fascination et se contente de la faire passer par quelques tests bien clairement définis et forcément limités. À force de la regarder sous toutes ses formes, sous toutes ses couleurs, avec toutes ses variantes, on se dit quand même que la majorité des explications doivent s'y trouver, d'une manière ou d'une autre.

J'ai aussi fait tester mes selles pour voir si ne s'y cachaient pas des traces invisibles de sang. Autre méthode, cette fois, avec une fiche cartonnée et de petits bâtons de sucette pour prélever de tout petits échantillons à étaler sur le carré prévu à cet effet avant de refermer le petit volet. Là, par contre, les selles pouvaient baigner dans l'huile, pas de problème. Just a smear, c'est tout ce qu'ils voulaient. Trois, en fait. Mais il fallait suivre un régime spécial pendant une semaine. Rien de cru, pas de viande. La viande, ça va, mais le rien de cru, ça fait bizarre. Les compotes, c'est bien joli, mais au bout d'un moment, ça perd de son charme. J'espère bien ne jamais être dans la situation d'avoir à suivre un tel régime de façon permanente.

Je ne sais pas pourquoi je raconte tout ça trois semaines après les faits. C'était sans doute plus difficile de prendre ces choses un peu à la légère sur le coup.

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© 2000 Pierre Igot

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