C - DAYS 34 & 35


Sais pas trop quoi penser de ces deux dernières journées. Globalement correctes, et puis soudain un « passage à vide », état général de fatigue et de faiblesse vers cinq heures de l'après-midi, quand on explore un peu on constate un mal de dos assez prononcé, tout en bas, dont l'intensité ne se remarque que si on essaye d'étirer la colonne... Hier, cela s'est manifesté au retour de la promenade et de façon assez brutale, j'ai trouvé. Je n'aurais sans doute même pas dû essayer d'aller me promener. Il m'a fallu une bonne demi-heure allongé sur le lit pour « récupérer », non pas pour récupérer de la fatigue (inexistante, puisque la promenade n'était vraiment pas très longue), mais pour « récupérer » la stabilité dont j'avais pu jouir au cours des dernières journées, à quelques moments près. Je trouve tout cela vraiment idiot, cette « faiblesse » qui n'en est pas vraiment une, puisque physiquement j'ai toujours de la force, mais c'est comme si le complexe dos-ventre avait remplacé le système musculaire pour ce qui est de la « fatigue » et qu'il « s'épuisait » beaucoup plus rapidement.

Il y a sans doute comme ça dans tout ce que j'ai écrit jusqu'à présent des observations qu'il faut « transposer » parce qu'elles ne concernent pas vraiment une faiblesse à proprement parler physique (qui serait sans doute observable par les médecins), mais une faiblesse « intérieure », concernant deux parties du corps (le ventre et le dos) qui ne sont pas vraiment des organes, pas vraiment des choses bien localisées.

La même chose s'est reproduite aujourd'hui, pratiquement au même moment, mais en moins fort, parce que je ne suis pas allé du tout me promener (pas fou). Il ne m'a pas fallu autant de temps pour « récupérer », mais je crois bien que le mal fondamental à l'origine du malaise était le même.

Pour le reste, les divers symptômes restent dans le registre de l'habituel. Je ne peux pas m'attendre à être dans une forme resplendissante avec 2,25 g d'antibiotiques par jour dans le corps. On va bientôt finir la huitième journée (demain matin). La fin approche. J'ai hâte de voir ce qui va se passer. (Cette fois-ci, on ne va pas être bête, on ne va pas essayer d'arrêter le R en même temps, chaque chose en son temps.)

L'amie de C. est repartie, ce qui laisse forcément un vide. Je n'aime pas ces vides laissés par des amis quand on s'est bien habitué à leur présence. Je suppose qu'il y a quand même une partie de moi qui a vraiment envie de partager ce cadre somme toute bien agréable dans lequel nous vivons avec d'autres — pas n'importe qui, évidemment, mais certaines personnes avec qui on sait pertinemment qu'il ne va pas, qu'il ne peut pas y avoir de problèmes. (Il n'y en a pas eu du tout, comme de juste.)

C'est bientôt le retour de nos ouvriers qui vont venir finir la construction de la véranda. Un gros travail qui va nous coûter plutôt cher, mais surtout qui va encore changer le rythme de vie ici pendant plusieurs semaines au moins. Ils sont déjà venus (père et fils) cet après-midi déposer quelques trucs et le père n'a pas pu s'empêcher de faire remarquer au fils que je n'étais pas bien depuis le début de l'année, que j'avais perdu du poids. Le fils — qui ne m'avait pas vu depuis l'an dernier — a évidemment renchéri : « Ouais, c'est vrai, t'as maigri... » Oh que je n'aime pas ça. Je ne veux pas qu'on me le rappelle. Je n'ai pas vraiment maigri en raison d'une maladie grave, d'un problème d'absorption des aliments qui mettrait ma vie en péril, mais c'est évidemment un peu comme ça que c'est perçu, parce que c'est en général la corrélation. Non, j'ai maigri parce que j'ai eu tellement mal au ventre pendant un certain temps que je n'arrivais plus à manger. Mais le mal du ventre lui-même, on n'a toujours pas établi sa cause, sa véritable intensité (indépendamment des facteurs psychologiques) et d'ailleurs, avec les calmants, il est plus ou moins passé, j'arrive à manger à ma fin, pas autant que je voudrais parfois, mais ce n'est peut-être pas plus mal, j'ai un poids normal maintenant pour ma taille et pour ma corpulence (pour autant que je puisse dire), mais c'est vrai que j'avais dix kilos de plus qui ont fondu et que ça se voit. Non, je n'aime pas qu'on fasse ces commentaires sur mon poids parce que j'ai l'impression que ça renforce le malentendu, l'image d'un être sérieusement malade qu'il faut laisser tranquillement mourir dans son coin en le dérangeant le moins possible. Ce n'est pas du tout ça. Je veux être dérangé. Il faut me déranger. Je suis dans un entre-deux où trop de choses dans mon état physique dépendent de facteurs extérieurs, de leur impact psychologique, alors il ne faut pas, surtout pas me ranger dans la catégorie des « grands malades », même si, d'une certaine façon, j'en suis un. Parce qu'il y a toujours la possibilité que, d'ici une semaine ou deux, je n'en sois plus un du tout. Ça fait partie du mystère, tout ça. Ça peut partir aussi mystérieusement que c'est venu, que ça revient, que ça ne repart pas. Alors il ne faut pas.

Quoi qu'il en soit, le bureau du psychiatre a téléphoné ce matin et je le verrai plus tôt que prévu, mardi prochain, avant de partir pour H*** pour aller voir le gastro-entérologue le lendemain, la psychologue, ce ne sera que pour la mi-juillet. Le psychiatre, au fond, ne voudra sans doute que parler médicaments, C et R, il n'y a plus que ça qu'ils connaissent, donc je ne me fais pas trop d'illusions, en plus, avec le nom qu'il a, on va sans doute passer la moitié de la séance à comparer nos bagages linguistico-culturels ésotériques dans ce pays « neutre » où nous tentons l'un comme l'autre de vivre comme immigrés qui n'en sont plus vraiment. C'est peut-être même une femme, d'ailleurs, tiens, je n'en ai aucune idée, « Siva », c'est sûrement indien, pakistanais, que sais-je encore, mais de quel sexe ? Bah, on verra. Sans doute un homme. Ce serait trop beau. En tout cas, je ne m'attends pas à ce qu'il fasse la lumière sur quoi que ce soit. On parlera sans doute plus dosages et efficacité chimique qu'autre chose. Mais il faut passer par là. Au moins, quand il s'agira de voir le gastro-entérologue, on ne pourra pas dire qu'on n'a pas fait la démarche.

Belle journée, jardin en fleurs de partout, rhododendrons, pivoine, iris, coquelicots, ça n'arrête pas, par contre certains de nos légumes se font bouffer par des animaux ou des insectes invisibles, c'est vraiment agaçant, on ne sait pas trop quoi faire, les livres ne nous aident pas trop, c'est un peu un gâchis, c'est pourtant la partie du jardin que je préfère. Moins j'ai à dépendre pour vivre de ce monde pourri qui survit à coups de produits chimiques de plus en plus puissants et de moins en moins efficaces, de mesures pour masquer la pollution au lieu de la faire diminuer, qui laisse tous ces êtres continuer à se comporter de façon complètement idiote, irresponsable et inconsciente, qui continue à nier l'évidence et même le fait qu'il n'y a même pas besoin de preuve pour établir l'absolue nécessité de faire quelque chose — mieux je me sens misanthropiquement dans mon coin perdu où j'essaye de laisser le moins de choses possible me toucher. Quand je vois des imbéciles aller à la banque en plein été en camionnette et laisser tourner leur véhicule au ralenti pendant qu'ils font la queue à l'intérieur au guichet pendant des minutes, parfois une dizaine ou même plus, j'ai envie d'étrangler quelqu'un. (Pas nécessairement eux, mais les personnes qui ont eu l'inconscience de ne même pas leur inculquer ces quelques principes fondamentaux de respect de l'environnement et du bien-être d'autrui.) Même en hiver, d'ailleurs, ça ne sert à rien, de faire ça. Ou alors il faut vraiment qu'ils changent leurs bougies.

Il y en a des tonnes d'exemples comme ça, n'est-ce pas ?

« Tu t'énerves de nouveau pour des choses extérieures comme ça, c'est que ça doit aller mieux, non ? »

Je vous laisse décider.

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© 2000 Pierre Igot

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