C - DAYS 50 & 51


Rien achever de cohérent
Sans y perdre une partie de soi
Hésiter, donc
Se réfugier dans l'irresponsable
Le confus et le provisoire
Les nuances des contraires imparfaits
Pour préserver quoi ?
Un soi malade ou presque déjà qui se désagrège
Qui se perd à force d'attendre
Le remède qui lui permettrait d'aller de nouveau
Se donner au monde

Mais le remède ou presque
Ne sait pas quelle forme prendre
Il affiche son impuissance
Et se vend quand même
Et quand il prend
La forme qui fait mal
Le plus encourageant dans la douleur est sa pureté
Potentielle mais jamais atteinte
Pour le plus beau mal
Il ne faudrait plus d'espoir que cela change
Pour le plus beau mal
Il faudrait la cohérence
De tous les symptômes

Alors qu'entre eux ils se battent
Et que les choses ne s'unissent que malgré leur soif
Pour le plus beau mal
Il faudrait la plus belle blessure
Et le plus beau sang
Et rien d'autre

Les effets, les causes, les pansements, les taches, l'infection, la cicatrisation
Viendraient plus tard


Et re-paf.

Ah, ce samedi avait pourtant bien, très bien commencé. Je m'étais, pour la troisième fois consécutive, réveillé à une heure normale sans mal de dos trop prononcé. J'avais mangé un petit déjeuner un peu plus riche que d'habitude (cette vieille tradition du croissant « frais » — fraîchement décongelé et réchauffé — du samedi matin) et il était très bien passé. Je m'étais mis à faire toutes sortes de choses aux quatre coins de la maison et dehors, à aider C. à préparer le couloir pour quelques couches de peinture, à nettoyer les salles de bain, à essayer de déterminer ce qui n'allait pas dans cette lampe halogène dans la cuisine (je n'y connais rien en lampes halogènes), à déraciner toute une rangée de gros plants de laitue qui étaient devenus de véritables tanières pour les milliers de perce-oreilles qui envahissent notre jardin chaque année en en tuant autant que possible à coups d'eau chaude et savonneuse, à finir deux ou trois trucs en attente à l'ordinateur, etc.

Le déjeuner à une heure était lui aussi très bien passé, même si le café et le petit carreau de chocolat semblaient avoir été « de trop » et m'être un peu restés sur l'estomac. C'était le premier jour de diminution de la dose de calmants — c'est-à-dire pas de R à midi — et cela m'avait semblé, en passant, être un jour idéal pour cela. J'avais passé le début de l'après-midi à travailler sur des textes, à en finir la préparation pour le Web. Vers quatre heures et demi, j'étais parti marcher seul, puisque C. était plutôt fatiguée après ses multiples couches de peinture au plafond et aux murs et qu'elle avait encore à arroser le jardin. Je m'étais peut-être laissé un peu emporter, pendant cette marche, à cause de mon impression d'être en forme, j'avais marché peut-être un peu plus vite que d'habitude, surtout sur la fin, emporté par mon élan, par une envie de « forcer » un peu les muscles, de les faire travailler. Mais je ne m'étais pas senti particulièrement mal au retour de cette marche, j'avais même aidé C. à installer des protections pour les haricots contre les perce-oreilles dans le jardin. J'étais rentré prendre ma douche et me laver les cheveux. Tout semblait prêt pour une soirée agréable et détendue.

Et puis, comme dit, paf. C'est venu d'un coup à six heures, alors qu'on entamait la préparation du plat du soir. Comme une sensation de nausée. Brutale, mais pas intense. Juste là. Alors que jusqu'à présent, tout était détendu, je n'avais pas particulièrement « conscience » de ce qui se passait dans mon ventre. Je me suis rappelé que je n'avais pas encore chié aujourd'hui et qu'il y allait peut-être y avoir un « mini-déblocage » comme ça arrivait parfois vers cette heure-là, avec des symptômes pas agréables mais somme toute pas trop dérangeants.

J'ai pris quelques cacahuètes et quelques biscuits d'apéro histoire de me mettre quelque chose dans le ventre en attendant le dîner, en regrettant de ne pas pouvoir accompagner cela d'un bon petit whisky qui pourrait dire à ces pseudo-symptômes d'aller se ranger. Ça n'a pas vraiment fait passer la chose, mais elle n'a pas empiré non plus. N'empêche que ma bonne humeur en a pris un petit coup. Je me suis un peu fâché contre C. pour un détail de cuisine stupide. Je m'en suis excusé en expliquant la raison. Le « début de crise » est ainsi devenu « officiel ».

J'ai quand même mangé le plat, qui n'est pas trop mal passé, et un fruit. J'ai pris en même temps le calmant du soir, ce qui a contribué, je suppose, à retarder l'échéance. J'ai passé la soirée au salon avec C. à compiler une cassette de musique d'artistes « associés » à P. qu'elle m'avait demandé de compiler, tandis qu'elle lisait et que j'essayais moi aussi de déchiffrer les caractères minuscules du nouveau livre de P.N. sur P., reçu la veille par la poste de J. à Chicago. Il fallait que je reste près de la chaîne, alors j'étais assis par terre, mal, à moitié sur le tapis, à moitié sur le ciment glacé, sans pouvoir trouver de position confortable, en ajoutant un coussin ici et là, mais il fallait que je me tende vers le haut à chaque fois pour changer de disque, bref, ce n'était pas vraiment propice à la détente, mais j'avais l'impression que les choses n'allaient peut-être pas empirer, que j'allais peut-être m'en sortir à bon compte.

Nous sommes allés nous coucher assez tôt, à peine après dix heures, et nous avons lu pendant un moment. Je n'avais pas le sentiment d'être particulièrement « mal ». Pas de gros mal de dos, pas de ces symptômes que j'ai parfois au coucher et qui annoncent un mauvais lendemain. Je me suis donc endormi comme d'habitude, facilement, et pas trop inquiet.

Et puis quelle nuit. Constamment réveillé à moitié par un horrible mal au milieu du dos, des frissons, des bouffées de chaleur, des douleurs partout dans la poitrine et dans cette « ceinture » de brûlure latente tout autour du torse juste en dessous des côtes, bref, toute la panoplie d'une vraie crise, mais cette fois pendant le sommeil, alors que c'est quand même rare, en général c'est plutôt au réveil tôt le matin que ça commence, là, ça a été pendant toute la nuit, pour autant que je puisse dire, puisque j'essayais malgré tout de dormir, de me rendormir à chaque fois que le mal me réveillait. Jusqu'à quatre ou cinq heures — je ne sais plus exactement — où j'ai pris deux paracétamols parce que j'en avais vraiment marre. Je suis alors tombé dans un sommeil de plomb, mais évidemment dans une mauvaise position et à une heure trop tardive, je me suis réveillé vers huit heures avec des membres « endormis », toujours ce mal partout dans la poitrine et dans le dos, des frissons — et bien sûr un immense découragement.

C. me demande toujours, chaque matin, au réveil, comment ça va, parce que, depuis plusieurs mois maintenant, ça ne va pas trop bien le matin au réveil. Je lui ai donc dit. Elle a essayé de me consoler, elle a attiré ma tête contre sa poitrine. J'ai commencé à jouer avec son téton droit, tout doucement, du bout des doigts. Malgré la situation actuelle, malgré l'état de crise, malgré toute la douleur, je continue à me réveiller tous les matins avec une érection, comme au bon vieux temps, je suppose que si les médecins savaient cela ils y trouveraient un signe de plus que je n'ai rien de foncièrement grave sur le plan purement physique, je ne sais pas, ils auraient peut-être raison, ce n'est pas mon sentiment, le désir sexuel est pour moi comme un dernier refuge, si je n'avais même plus ça, comment ferais-je pour « tout oublier » pendant quelques minutes, redevenir l'espace d'un instant l'être jeune et lascif que je devrais être, que je devrais pouvoir être, qu'il me semble que je suis en droit d'être tout naturellement à tout moment et que tous ces maux m'empêchent brutalement d'être depuis plusieurs mois, depuis plusieurs années même, même s'il y a eu des améliorations depuis 1995, bref, C. s'est mise à soupirer, je me suis mis à sucer, puis je suis descendu et je l'ai léchée et j'ai joué avec ses trous jusqu'à l'orgasme, plutôt bon apparemment, elle s'est retournée et s'est donnée à moi par derrière, elle a ondulé sur moi et je me suis laissé faire, j'ai laissé ses fesses m'effleurer à peine pour s'écarter à nouveau, « jouer » ainsi en toute légèreté à aller et venir jusqu'à ce que je ne puisse plus me retenir, j'ai attrapé un des barreaux de la tête de lit de la main droite, je l'ai serré et j'ai joui sans même avoir mal, sans ce que ça brûle, c'était bon, tout simplement, on est restés sans bouger pendant quelques minutes et il a bien fallu que le mal s'avoue temporairement vaincu.

On s'est levés, j'ai réussi à manger mon petit déjeuner presque normalement, sans avoir de nausée, sans avoir la tête qui tourne, comme c'est généralement le cas après ces nuits de crise, j'ai même réussi à manger un bout de brioche, mais il était clair que ça n'allait quand même pas être une journée facile, peut-être que le gros de la crise était passé pendant la nuit, pour une fois, mais, quand même, il allait falloir s'en remettre.

J'ai aidé C. à remettre les choses en place dans le couloir fraîchement repeint, je suis maladroit, j'égratigne la peinture fraîche, et puis S. appelle, il était prévu que j'aille chez elle l'aider à faire un ou deux trucs sur son Mac qu'elle est encore en train d'apprivoiser, elle me demande comment ça va, je lui explique, mais je lui dis que je viens quand même, j'y vais, j'y passe deux petites heures, au début ça va pas trop mal et puis la nausée redevient de plus en plus prononcée, ce n'est pas vraiment une nausée, c'est juste une impression d'être « malade » à l'intérieur, le mal de dos n'est pas si prononcé, si immédiatement perceptible quand je suis debout ou assis, sauf en fin de journée, mais c'est sous cette forme un peu dégoûtante de « mal intérieur » que les choses se manifestent, au bout de deux heures j'en ai un peu assez, je ne peux pas vraiment continuer dans cette position assis devant le Mac, il faut que je bouge, mais on a plus ou moins terminé, S. me remercie toujours trois fois trop comme d'habitude, je rentre et puis on prépare le déjeuner, ça ne passe pas trop mal, je ne peux pas me plaindre, j'arrive même à manger une petite viennoiserie apportée par J.-M. (notre boulanger) le matin même, s'il y a une chose que je remarque, c'est que peut-être que j'arrive à me « remettre » d'une crise un peu plus vite, à la fois sur le plan psychologique et sur le plan physique, en tout cas maintenant il est quatre heures et demi, j'ai chié, j'ai écrit tout ça mais je suis mal assis sur ma chaise, j'ai un peu mal au bas du dos, je vais aller m'asseoir dehors au soleil et lire et espérer que ce deuxième jour sans R à midi ne va pas finir comme le premier, que je vais continuer à remonter tout doucement — mais moins doucement que la dernière fois — la pente, en tout cas je ne vais pas marcher aujourd'hui, on va bien voir, décourageant, quand même, un week-end qui aurait pu être si tranquille, qui a failli l'être, semble-t-il, à quoi ça tient, je ne sais pas, en tout cas ce n'est pas vraiment la peine de s'y attarder, on en reparlera avec Dr A. mardi, pour le moment concentrons-nous sur la nécessité d'aller mieux.

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© 2000 Pierre Igot

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