Rythme


Il suffit de presque rien pour que tout bascule dans l’intenable, qui ne tient que de lui-même, par la force de la chose même qu’il persiste à être en dépit de son caractère fondamentalement contradictoire.

Il suffit de presque rien, d’un peu de temps, de quelques heures, quelques jours, pour que le balancier repasse, à son rythme, parfois sans crier gare, parfois comme une oreille ou une narine qui se débouche, du côté précaire de l’insouciance.

Il suffit de constater qu’il n’existe pas d’état purement intermédiaire, qui ne serait ni l’un ni l’autre, ni l’insouciance, ni l’intenable, qui serait quelque chose comme une sérénité tranquille, solide, bien assise. Il y a, de part et d’autre de ce point toujours franchi, jamais atteint, la continuelle tentation de la souffrance et la continuelle tentation de la joie et un système qui ne sait résister ni à l’une ni à l’autre.

Il y a cette symétrie que j’observe sans jamais la percevoir, parce que, pour la percevoir, il faudrait que j’en sois l’axe et que, pour en être l’axe, il faudrait que j’atteigne ce centre aussi parfaitement localisé qu’inaccessible.

Alors j’oscille, je tangue, j’ai la nausée, j’ai des chaleurs, j’ai des impulsions qui m’usent, j’ai des ressources pour l’instant encore inépuisables qui font que je n’envisage pas la moindre issue, que je continue à m’acharner jusqu’à l’absurde sur ce potentiel de sérénité qui vit.

L’issue, elle, viendra sans doute de la porte débile de l’imperceptible dégénérescence, de la dyslexie rampante, de l’illexie menaçante, de l’effondrement micromètre par micromètre sur soi.

J’ai bien compté. Il me reste d’innombrables passages à vide. Les résolutions, le stoïcisme fertile n’y feront rien. Je serai abruti comme un déporté par son matricule, cent fois, mille fois, par chaque coup de peine lancinante porté par le cycle dont je continue d’essayer d’éluder les causes (curieux jusqu’à l’agonie).

Tout cela n’a que fort peu à voir avec le temps tel que je le perçois à travers les interférences, de sorte qu’il n’y a aucun espoir d’en tirer ou d’y trouver quoi que ce soit de musical. C’est un rythme qui n’a de rythme que le nom, par manque d’idée claire des enchaînements. Danser sur ce rythme relève de l’exploit et, pourtant, c’est tout ce que j’ai à essayer. Apprendre à danser sur son propre rythme ou renoncer à conduire. Choix de chef en mal d’orchestre. Perspective décourageante pour ceux qui, comme moi, apprécient et respectent la parfaite syncope d’un autre.

Ce qu’il reste… Tomber en faisant des crises. Gémir en trouvant des rimes. Oublier la fatigue juste assez longtemps pour lui donner le loisir de revenir frapper de plus belle.

Travailler sans utiliser les fonds qui font mal. Pétrir en profondeur à la surface. Gagner sur tout. Sauf sur le prix d’une évolution passée loin.


© 2001 Pierre Igot

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