Z - DAYS 4 & 5


Retour à la perplexité. Un dimanche tranquille et relativement agréable, même si le temps est plutôt maussade — c'est important dans la mesure où cela semble contredire l'hypothèse qui voudrait mon état physique ou mental dépend aussi du temps qu'il fait —, alors on se dit qu'on va se réessayer à la marche. Oh, pas sportive, n'exagérons rien, doucement, à un rythme modéré, mais toute la distance, quand même, ce n'est physiquement, musculairement pas possible qu'on ait perdu toute son endurance du jour au lendemain, on devrait donc pouvoir tenir la distance, sans forcer.

Mouais. Oh, on la tient bien, la distance, plutôt bien. On rentre et on se dit que ça a peut-être marché. (Mais on se dit trop de choses.) Et puis, tout lentement, au fil des minutes, le mal de dos refait surface. Pas grave, on se dit (mais on se dit trop de choses), un peu de mal de dos, la première marche depuis près d'une semaine, c'est normal.

Mais non, c'est pas normal. Et ça le devient de moins au moins, à mesure que le mal s'amplifie. Il reprend des proportions inacceptables. Il s'étend à toute la colonne, même s'il est toujours difficile de le localiser, de dire : « Là, ça fait mal... Là, ça fait moins mal. » Même au toucher. Il n'y a rien à faire. C'est un endroit où le système nerveux est beaucoup trop complexe (et pour cause). Avoir mal à l'endroit même qui est censé transmettre la sensation de douleur, c'est un peu trop théorique, le cerveau, dans sa binarité un peu bête, ne suit pas vraiment.

Le mal « originel », à gauche, sous le bras, se réveille aussi, du même coup. Ça va de pair. C'est le mal qui a tout commencé. Qui est à l'origine de tous les effondrements. Et il vient se rappeler à ma conscience dès qu'il en a l'occasion. Cette faiblesse dorsale est une occasion en or. Alors ça prend là, dans le côté, derrière, dans le bas du dos, au milieu, dans la nuque, à la base du crâne, ça donne mal à la tête devant aussi, évidemment, et puis il y a toute cette « ceinture » de douleur qui se réveille juste en dessous des côtes par devant aussi, qui « bloque » le fonctionnement du ventre, qui interfère dans la partition électrique et chimique, silencieuse, parfaitement orchestrée, de la digestion et qui fout tout en l'air. Renvois, pets, douleur sourde, rien ne va plus.

Oh, ce n'est pas une « crise » à proprement parler, il manque l'anxiété pour ça, il manque même le découragement, qui n'a pas encore eu le temps de revenir, après près de quatre jours d'accalmie, il s'est presque habitué à ne plus être là. C'est juste assez mauvais pour tout gâcher — pour finir la journée en queue de poisson et se demander (mais on se demande trop de choses), en passant, juste un peu, de quoi sera faite la suite.

On se couche tôt, on s'endort tôt, on se réveille un peu tôt, avec le gros mal de dos, mais la « blessure » psychique n'est pas encore totalement rouverte, il y a de l'espoir, on ne sait pas trop, on se lève avec hésitation. Et puis il y a une petite catastrophe, il a plu assez violemment pendant la nuit, semble-t-il, et, si les bâches en plastique sur le toit nous ont bien protégés par le dessus, en revanche, l'eau s'est infiltrée par en bas et a copieusement trempé deux grands tapis de laine sur le sol de ciment peint. Branle-bas de combat, il faut soulever les tapis, éponger l'eau colorée qui en dégoutte, trouver un moyen de faire sécher tout ça — on en oublie un peu les questions existentialo-dorsales qu'on se posait en se levant, n'est-ce pas.

Mais c'est comme toujours quand on se réveille avec le gros mal de dos, on se lève et on sait assez vite, dans l'heure qui suit, si ça va aller progressivement mieux ou progressivement moins bien (ça ne reste jamais stable). En l'occurrence, alors, si la « distraction » de la petite inondation a suffi, c'est que ça va aller mieux. Est-ce que ça va mieux à cause de la distraction ou est-ce que ça va mieux parce que ça va mieux ? Question pour les amateurs de dichotomies.

Et ça va effectivement mieux. Journée passable. Travail ordinaire. Même pas de paracétamol à midi, juste pour voir. Ça passe.

Pas question de réessayer la marche aujourd'hui, évidemment. Il n'y a peut-être pas de lien direct de cause à effet, mais il va falloir m'en convaincre. Parce que pour le moment c'est un peu trop flagrant quand même. Je ne sais pas trop ce que je vais faire comme exercice physique dans les jours qui viennent — peut-être du désherbage, tiens ? —, mais la marche, c'est tout simplement trop bêtement quelque chose qui ne marche vraiment pas, en l'occurrence. Je ne sais pas pourquoi. Je ne sais de quel drôle de travers je souffre qui me fait supporter si mal une petite marche de rien du tout au bord de mer. Surtout sachant que, il y a quelques mois à peine, j'en faisais une tous les jours de la semaine, sans aucun problème, et avec de l'énergie encore. Ça n'a pas grand sens, mais qu'est-ce qu'on peut dire ? Qu'est-ce qu'on peut penser ? En attendant de retrouver le sens, retrouvons le calme. Quelle que soit la stratégie qui fonctionne. Et un calme qui dure, s'il-vous-plaît. Quatre jours, là, c'était bien, très bien même au vu des dernières semaines, mais ce n'est pas encore assez. Je veux huit jours, quinze jours, assez d'espace entre les « crises » pour qu'elles n'en soient plus, pour qu'elles ne soient plus que de « mauvais pas » dont on sait qu'on va bientôt sortir et qui, parce qu'elles n'affectent qu'une petite proportion du temps de vie et de tout ce qui s'y rattache, ne découragent pas trop facilement l'imbécile que je suis qui ne peut s'empêcher de courir après le temps qui passe. « Tellement de choses à faire... », n'est-ce pas. Rien d'autre à faire que d'aller mieux. Seulement, ça ne se fait pas. Alors, ne rien faire. Je n'y arrive pas.

Fin de journée sans marche et donc sans douleur ? Que nenni. Ce serait trop beau. Oh, sans prétexte, la douleur est bien obligée de revenir de manière un peu plus sournoise. Mais elle y arrive. C'est tout à fait dans ses cordes. Juste avant le repas, profitant d'un estomac un peu vide. On s'empresse de l'emplir un peu, mais c'est trop tard. Déjà, la sensation que les choses pourraient presque se mettre à brûler de l'intérieur. On n'en arrivera peut-être pas là et ce ne sera pas une vraie crise. Mais c'est quand même une fin de journée pourrie. Retour au dernier stade avant l'épave. Celui qui fait encore semblant que tout fonctionne normalement. Qui fait les mêmes gestes, les mêmes efforts, et à qui quelques pointes de douleur importunes viennent régulièrement rappeler qu'il est à la limite. Et il ne s'en fout pas. Ça lui fait un peu peur. Sans plus. Mais ça suffit. Il va se coucher et espérer. Que le Z marche. Vite. Que Dr A. comprenne un peu mieux encore. Que Dr W., la psychologue avec qui on a rendez-vous depuis deux mois et qui ne se doute encore de rien, aura quelque chose de plus à apporter demain. Parce qu'on les voit tous les deux, l'un après l'autre. À D***, puis à Y***. De la route. Un peu d'inconnu. En quête de stabilité. Pas besoin de brûlures.

C'était bien beau ces quatre journées presque normales, quand même. On pourrait se refaire ça un de ces jours. Je ne dirais pas non.

Z - Days 2 & 3 Z - Days 6 to 9

© 2000 Pierre Igot

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