Z - DAYS 27 TO 29


Il est temps d'admettre que la thérapie avec Dr A. a été un échec total. Je suis allé le voir pour la dernière fois cet après-midi, et ce qu'il a pu dire après avoir appris ma décision n'a fait que m'y conforter.

Le simple fait de devoir aller le voir à Y*** était devenu en soi une source de stress et, en l'absence du moindre impact positif de sa « thérapie », cela avait de moins en moins de sens. Avant-hier mardi, par exemple, je ne peux être sûr de rien, bien entendu, mais j'ai bien le sentiment que la grosse crise dont j'ai souffert et qui a abouti à un passage (inutile, évidemment) aux urgences de l'hôpital de Y*** a été en bonne partie liée à ce stress engendré par l'idée même de devoir aller le voir.

Le matin, je suis allé deux fois aux toilettes et j'en suis sorti à chaque fois dans un état un peu plus pitoyable. Douleur, faiblesse, sensation d'être « coincé », etc. Le repas de midi s'est très mal passé, en présence de notre charpentier, lui-même affligé d'un problème d'arthrite chronique et à qui on essayait tant bien que mal d'expliquer la situation. Dès la première bouchée, j'ai senti que ça aller coincer encore plus, me faire mal, me faire peur. Et ça n'est pas passé avec le repas. Je me suis quand même forcé à partir seul pour Y*** à une heure, mais je n'étais pas du tout rassuré. Dans le bureau de Dr A., les choses n'ont fait qu'empirer. J'étais pris de véritables brûlures dans tout l'intestin, j'étais plié en deux. En dépit de tout ça, Dr A. continuait de tourner en rond avec ses histoires qui ne menaient nulle part. J'ai commencé par lui indiquer que je n'étais pas particulièrement content d'avoir reçu une lettre de ma compagnie d'assurance me disant qu'ils refusaient de prendre en charge le Z (soit 70$ par mois quand même) parce que le diagnostic indiqué par le psychiatre (« pain disorder ») ne faisait pas partie de la liste des maladies reconnues comme pouvant être traitées par cette pilule. Il m'a garanti qu'il allait régler la situation, je lui ai demandé quand, il m'a dit qu'il allait téléphoner le jour même, que son diagnostic était correct, qu'il allait leur expliquer que ce diagnostic justifiait l'utilisation de ce médicament, je lui ai dit, allez faire le Don Quichotte contre le système si ça vous amuse, mais ne me faites pas chier avec ça, j'ai déjà assez de problèmes comme ça, je n'ai pas besoin d'avoir en plus à envisager la perspective de devoir payer ces médicaments de ma poche, il m'a promis qu'il allait régler ça tout de suite, bon, je ne vois quand même pas pourquoi il ne l'avait pas encore fait, il avait sans doute reçu la lettre la semaine d'avant, comme moi, s'il avait voulu être gentil, il aurait réglé ça avant même cette consultation.

Tout ça avec une douleur croissante dans le ventre, de la sueur, je vais de plus en plus mal, rien ne va plus, je ne sais plus de quoi d'autre on a parlé, je m'en fiche, c'est surtout lui qui parle, de toute façon, c'est assez à sens unique, son type de « thérapie », pour autant que je puisse dire, je croyais que les psychiatres passaient surtout leur temps à écouter, à laisser parler leur patient, pas celui-là, en tout cas. Une fois de plus, il ne se souvient pas exactement de la dose de pilules que je prends, il me redemande quand j'ai arrêté le calmant exactement, purée, ça fait une demi-douzaine de fois que je le lui dis, il ne peut pas prendre ça en note une fois pour toutes et avoir ces données à l'esprit quand j'arrive ? Je suis désespéré, je commence à paniquer, je ne vois pas comment je vais faire pour rentrer seul en voiture à la maison dans cet état, je le lui dis, il me dit que j'ai deux options, aller aux urgences tout de suite après la consultation ou essayer de rentrer et aller chez le médecin demain matin, mais mes problèmes physiques, il peut rien faire, lui. C'est pratique, quand même, selon les jours, mes problèmes physiques et mes problèmes mentaux sont indissociables, ou alors ils sont distincts et lui ne peut rien faire pour le côté physique, comme par hasard c'est quand je me sens mal devant lui qu'ils sont distincts, quand ça va à peu près par contre ils sont intimement liés. Ouais. Il me suggère de prendre 25 mg de Z tout de suite, je lui dis, mais comment ça va aider, ça, c'est un truc qui agit à long terme, on ne sait même pas encore si les doses que j'ai commencé à prendre il y a quatre semaines vont marcher, comment une petite dose de 25 mg maintenant pourrait m'aider tout de suite dans cette situation de crise, il me dit, on ne sait pas, on ne sait jamais, c'est possible, je n'y crois pas du tout, je commence un peu à chialer dans son bureau, il me tend des Kleenex, il me dit, c'est bien, chialez, vous êtes réticent, d'habitude, quand il s'agit de chialer, je ne suis pas réticent, bon dieu, c'est tout simplement pas dans ma nature, ça ne me dérange pas du tout de chialer devant lui ou n'importe qui, lui, monsieur Je-Ne-Touche-Jamais-Mes-Patients, Je-Ne-Vais-Pas-Vous-Examiner, monsieur qui m'a raconté l'histoire de ce patient qui voulait absolument l'embrasser à la fin de son traitement, chose qu'il n'a accepté de faire qu'à contre-coeur, c'est un de ses principes, ne pas toucher ses patients, ouais, qui est-ce qui a des réticences, dans la vie, je me demande.

Bref, il me fiche pratiquement à la porte quand l'heure vient, je me dirige vers le téléphone public, j'appelle C., je lui dis que je ne vais pas bien du tout, que je ne vais pas pouvoir rentrer seul, que je vais aller aux urgences et qu'il faudrait qu'elle trouve quelqu'un pour la conduire à Y*** pour qu'elle puisse me ramener, elle va tout de suite essayer S., il y a un numéro écrit sur le téléphone, je le lui donne en lui disant de me rappeler à ce numéro après avoir appelé S., je raccroche, je m'affale sur le banc, je prends cette putain de gélule de 25 mg de Z qui ne fait évidemment aucun effet, j'attends, une minute, deux minutes, trois minutes, des gens passent devant le banc et m'ignorent soigneusement, mais c'est normal, mais ça ne sonne pas, au bout de quelques minutes je me dis que ça ne doit pas marcher, je la rappelle, ça ne marche pas, en effet, « this phone doesn't take incoming calls », pourquoi ils foutent le numéro dessus alors, bande de zouaves, S. n'est pas là, mais elle va se débrouiller, elle me dit d'aller aux urgences, elle me rejoindra là-bas dès qu'elle pourra. Je raccroche. J'ai mal, je tremble, j'ai peur. Je me rends tant bien que mal en voiture à l'hôpital, heureusement tout proche. Je vais aux urgences. On me prend mon urine, ma tension, ma température. Comme ces trois-là sont normales, on décide de toute évidence qu'il n'y a rien de bien urgent et on me renvoie dans la salle d'attente, je poireaute pendant une demi-heure, une heure, une heure et demie, C. n'arrive toujours pas, on ne m'appelle toujours pas pour voir un médecin, il y a des gens dans cette salle d'attente qui attendent depuis quatre heures, cinq heures, il y en a d'autres qui font du bruit, qui ne peuvent pas s'empêcher de parler haut, de plaisanter, je change de siège, je vais le plus loin possible, mais je vois et j'entends toujours tout, le temps passe, rien ne se passe, j'ai toujours mal, je suis toujours plié, je bois de petites gorgées d'eau, rien ne passe, au bout d'une heure trois-quarts C. n'est toujours pas là et je commence à m'inquiéter, mais on m'appelle, je vais dans une des pièces, je m'assieds, le médecin de garde arrive quelques minutes plus tard, je le connais, c'est l'imbécile qui m'avait dit deux fois que j'avais une pneumonie en 1995 et m'avait bourré d'antibiotiques et d'anti-inflammatoires alors que ce n'était même pas vrai, je n'ai jamais eu de pneumonie, c'est lui aussi qui m'avait sorti que la constipation n'était pas une maladie, quelques muffins au son et du jus de pruneaux et on n'en parle plus, quel con, mais j'ai pas le choix, il semble d'ailleurs m'avoir complètement oublié, il me demande ce qui ne va pas, il a vu les résultats de mon lavement baryté, pour lui, tout va bien, ce colon un peu élargi, c'est rien de grave, je suis de toute évidence très anxieux, il m'examine à peine, me fait donner un calmant et deux paracétamols, une prise de sang, quand même, au cas où, mais je sais bien que c'est pour rien, il s'en va, deux minutes après C. arrive avec M., ils ont dû emprunter la fourgonnette de quelqu'un d'autre encore, mais ils sont là, enfin, M. s'éclipse avec pudeur et que je fonds en larmes, j'explose dans les bras de C., je chiale pendant dix minutes, quinze minutes, c'est pas possible, j'en peux plus, qu'est-ce qu'il va nous arriver, qu'est-ce qu'on va faire, etc. etc.

On pourrait partir tout de suite, on sait que la prise de sang ne servira à rien, mais on reste quand même, je raconte toutes les conneries de Dr A., toute l'absurdité, je déballe tout ça, puis je me calme un peu, C. me dit qu'elle fera tout, tous les sacrifices ce qu'il faut pour régler la situation, que je ne dois plus avoir peur de rien, s'il faut que je recommence à prendre les calmants, eh bien je recommencerai, elle continue à me caresser doucement, longuement et, évidemment, avec ça et le calmant, je retrouve progressivement mon état « normal », j'ai encore mal, mais je suppose que c'est tolérable, le médecin revient avec les résultats de la prise de sang, tout est normal, merci, au revoir.

J'ai déjà, alors, décidé d'arrêter la thérapie avec Dr A. et C. est d'accord. Pour le calmant, on décide d'attendre de voir comment je me sens le lendemain matin.

Le lendemain matin (hier), je me sens toujours aussi fragile au réveil, toujours autant de douleur, dans le dos, dans le ventre, toujours cette anxiété dès que les yeux s'ouvrent, alors je décide de reprendre un calmant. Mais on se dit qu'on va essayer une simple dose le matin, au lieu de trois par jour, et voir si ça pourrait suffire. Ce serait vraiment une dose minime.

L'effet est immédiat et la matinée se passe mieux que la précédente. Je vais seul voir J.W. à D*** (rendez-vous prévu de longue date, seulement 25 min de route au lieu de 45 pour Y***) et lui dis que je vais arrêter de voir Dr A. et que je veux essayer une thérapie avec elle. Elle dit d'accord, mais qu'elle sera évidemment moins disponible que Dr A. (il me voyait dans le cadre de son cabinet « privé », elle fait partie du système public) et puis il faut d'abord que j'arrête avec Dr A., avant qu'elle accepte de fixer un rendez-vous, « politiquement », le contraire ne serait pas correct. Je suis d'accord. Je ne me sens pas idéalement bien, mais ça va, je ne panique pas, je rentre.

J'arrive mieux à manger à midi, à discuter et à plaisanter un peu avec C. et le charpentier, qui essaye de me convaincre d'essayer ce qui lui a sauvé la vie à lui, cette espèce de poudre verte faite à partie de l'orge jeune, de l'herbe d'orge, je ne suis pas convaincu, évidemment, mais au point où j'en suis, je suis presque tenté d'essayer. Après tout, j'ai des problèmes de dos assez graves (de mon point de vue), comme lui, et les rhumatologues ont bien pensé, à un moment, que j'avais exactement la même forme d'arthrite que lui, même s'ils ont changé d'avis par la suite — mais pour retenir à la place un diagnostic (« myofascial pain syndrome ») pas vraiment plus convaincant ni plus utile puisqu'il n'explique ni ne résout rien.

Le temps est toujours pourri, mais il passe et le reste de la journée avec. Toujours très, trop mal, mais j'arrive à supporter sans prendre de deuxième calmant, jusqu'au souper, jusqu'au film à la télé (Love And Other Catastrophes, australien, plutôt bon), jusqu'au coucher.

Je dors raisonnablement bien, mais je me réveille de nouveau (ce matin) avec trop de douleur et d'anxiété. Je reprends un calmant et ça semble continuer à avoir de l'effet. J'arrive à bien travailler. Je vais deux fois, trois fois aux toilettes sans conséquences désastreuses. Le déjeuner passe assez bien. J'ai toujours mal, mais peut-être un peu moins que la veille. C. vient quand même avec moi à Y*** pour ce dernier rendez-vous avec Dr A. où je vais lui dire que j'arrête. J'aurais peut-être pu y aller seul, mais on ne va pas prendre de risques inutiles, n'est-ce pas. Je vais voir Dr A. seul, par contre, bien entendu. Cette dernière consultation d'une demi-heure ne me fait pas changer d'avis, loin de là. Il continue dans la même veine, avec les mêmes incohérences, les mêmes phrases inachevées qui tournent en rond, les mêmes fautes de syntaxe, les mêmes façons à peine voilées de m'accuser d'être la raison de l'échec de cette thérapie, je trouve ça quand même un peu trop gros, je le lui dis, qu'il ne me comprend pas du tout, qu'il devrait essayer, me semble-t-il, de me prendre tel que je suis au lieu de m'accuser de lui mettre des bâtons dans les roues, il me dit qu'il ne m'a jamais accusé de telles choses, mais si, il ne s'en rend même pas compte, c'est incroyable tout de même, pour une raison ou une autre je reviens sur le fait que je suis une personne très scientifique, il prend trois phrases pour m'expliquer que, parfois, le fait d'être très scientifique n'aide pas la thérapie, comme si je ne le savais pas, comme si nous n'avions pas déjà évoqué cela dès la première séance, comme si le fait de me la dire une fois de plus maintenant, cette chose que je sais pertinemment, servait à quoi que ce soit, pas étonnant que j'ai le sentiment de ne pas avancer, non ?

Bon, il a réglé cette histoire de remboursement du médicament, mais, devinez quoi ? Il a changé de diagnostic. Ha ha ! Je suppose que les velléités de donquichottisme étaient très passagères. Maintenant, j'ai un « panic disorder ». Ah. Voilà qui est plus raisonnable, monsieur A. Si seulement vous aviez commencé par là.

Mais le clou, c'est quand même quand, alors que je viens, une minute plus tôt, de lui dire que cela fait exactement quatre semaines que je prends du Z, il me demande : « Cela fait combien de temps que vous prenez le Z ? » Je n'en crois pas mes oreilles. Je viens de le lui dire une minute plus tôt ! Comment avoir la moindre confiance en une telle personne ?

Non, décidément, pas la moindre tentation de changer d'avis. J.W. à D*** ce sera. Je lui dis quand même, en partant : « Thanks for trying to help me. » Il répond : « No, I didn't try to help you. This is what I do. It is my job. » Quel personnage têtu, quand même. Si, monsieur A., vous avez vaguement essayé de m'aider et vous avez lamentablement échoué et il faudrait peut-être en tirer quelques leçons. Mais c'est sans doute trop tard...

Z - Days 22 to 26 Z - Days 30 to 32

© 2000 Pierre Igot

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