Z - DAYS 45 & 46


Trop limite encore, trop près de la peur de la crise, trop près du pas en arrière qui fait si mal psychologiquement. Énorme diarrhée ce matin, avec des grains de maïs entier du repas d'hier soir et tout et tout — ce qui n'est pas pour rassurer, surtout qu'on n'en voit pas du tout la raison et que ce n'est vraiment pas dans mes habitudes, moi qui ai toujours vécu avec l'idée que j'avais un système affreusement lent. Difficile de se contenter de l'idée d'un « caca nerveux ». Effet du Z ? Ça fait d'ailleurs une petite semaine que ça sort un peu trop facilement, un peu trop brusquement. Mais bon. D'un autre côté, c'est rassurant d'avoir des crampes, des douleurs plus « familières », si intenses soient-elles, sur le côté gauche plutôt que ce mal central qui ronge et qui détruit à petit feu — et surtout de voir le mal de dos relégué au second plan dans ces cas-là.

Nous nous sommes rendus cet après-midi à la veillée de corps de notre voisin décédé à quatre-vingts ans d'une double leucémie il y a deux jours, deux semaines à peine après le diagnostic et son hospitalisation. Il avait toujours le visage un peu trop rouge qui trahissait son passé embrumé d'alcool, mais là, il était d'une belle pâleur qui donnait vraiment une impression de pureté. Je suppose que, après le maquillage etc., c'est un peu la même chose pour tous les corps, je ne sais pas, je n'ai pas vraiment d'expérience dans le domaine. La présence de la mort ne m'a pas affecté du tout, me semble-t-il, ce qui doit être un bon signe. J'ai embrassé sa femme, notre voisine, et son fils, l'ancien propriétaire de notre maison, mais j'étais gêné parce que, après avoir conduit pendant 25 minutes dans la chaleur, mon dos était un peu mouillé. Je doute qu'ils aient remarqué quoi que ce soit, mais je me sens toujours mal à l'aise à cause de petits détails comme celui-là, qui me donnent l'impression de ne pas « faire partie » du groupe, d'être un peu inadapté, à côté de tous ces gens bien habillés qui ne semblent pas souffrir de la chaleur le moins du monde. Décalage entre les apparences sans doute pas pires que celles des autres et la réalité de mes perceptions, qui ne gênent que moi, je suppose.

C. entame son retour au travail demain et moi, j'entame donc mon retour forcé à la « normale », au rythme habituel, aux six ou sept heures par jour tout seul dans cette grande maison, sans soutien moral en cas de crise. On va bien voir comment ça se passe. J'ai toujours des calmants en réserve, mais ce serait vraiment trop bête. J'aimerais pouvoir continuer à progresser avec une seule dose le matin. Pas évident. Faudra aussi trouver un moyen de s'organiser pour la piscine, avec une seule voiture. Embêtant.

On espère également avoir des nouvelles de Dr M., le neurologue qui m'a vu au début du mois et qui revient de vacances avec, j'espère, un peu de temps à consacrer à ce qu'il a promis qu'il allait faire pour nous. Deux rendez-vous déjà prévus aussi cette semaine, l'un chez notre médecin de famille mercredi qui ne servira absolument à rien et l'autre chez J.W. jeudi avec qui on va enfin essayer de commencer quelque chose, après l'aventure ratée avec Dr A.

Sinon, les choses sont calmes, le frère de C. et sa famille sont repartis, on a fait un peu de ménage et tout est redevenu bien vite tranquille, au grand soulagement des deux chats un peu déboussolés par tout ce remue-ménage continuel — et des deux maîtres pas trop habitués non plus.

Promenade sur la plage de M*** hier, toujours aussi belle, avec cette marée très étalée sur le dénivellement si progressif, la brume qui monte du sable mouillé réchauffé par le soleil, l'embouchure de la petite rivière qui se forme et se dissout au gré des vagues, la petite brise qui nettoie puis engourdit l'esprit — mais toujours ce doute sur ma capacité d'arriver jusqu'au bout, jusqu'au pied de la falaise, de faire demi-tour et de revenir à l'escalier en bois qui franchit les dunes et rejoint le parking sans avoir aucun moment de faiblesse. Toujours ce sentiment d'être à deux doigts d'en avoir un. C'est une angoisse sourde, pas forte, pas violente, même pas oppressante. Elle est juste là, toujours là — et je sais que ce sera la dernière chose à partir, ou du moins à redescendre à un niveau moins pénible, à redevenir plus facile à oublier, plus souvent, plus longtemps.

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© 2000 Pierre Igot

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