Z - DAYS 95 TO 97


Toujours des hauts et des bas. Des bas bas, des bas hauts, des hauts bas et des hauts hauts. Des bassement hauts et des hautement bas. Toujours trois R par jour, en attendant mieux, en attendant pire. Toujours la tristesse de ne pas être là, d'être quelque part dans ce petit coin de la poitrine, sous l'aisselle gauche, d'où tout est parti fleurir noir, qui parle encore et dont rien ne semble être totalement libre.

J.W. ce matin, patiente, capable semble-t-il de comprendre, mais sans peut-être avoir les moyens d'y faire quoi que ce soit. Elle veut persister encore un peu dans la voie qu'elle a choisie et faire ensuite le bilan avant de décider de la façon de poursuivre. À l'heure actuelle, ça n'est pas trop différent d'une « conversation » ordinaire entre quelqu'un qui essaye d'expliquer sa situation et quelqu'un qui essaye de la comprendre. Elle n'a pas encore essayé de me corriger, de me dire : « Non, là, je crois que vous vous trompez » ou « Attention, ça, c'est une mauvaise façon de penser, il faut essayer de la changer ». La plupart du temps, elle m'interrompt pour me poser des questions, me demander de préciser certains points, mais elle finit par être d'accord avec mon analyse de la situation. Or ça ne m'avance pas à grand-chose. Il me faut sans doute quelqu'un qui soit en désaccord avec moi et qui arrive à me convaincre que j'ai tort, que je me trompe.

Ceci dit, on va sûrement passer tôt ou tard à une autre approche. On va sans doute essayer de « creuser » au lieu d'essayer de persister dans le behaviorisme, parce que, de toute évidence, il n'existe pas de « truc » comportemental facile qui me permette de modifier mes réactions, la cascade de mes pensées, etc.

Le problème de l'introspection, c'est évidemment que c'est déjà depuis longtemps une maladie chez moi, alors j'ai mes habitudes, bien ancrées et ça va être tout un travail d'essayer d'en changer, d'essayer de « creuser » de façon différente. Mais si c'est tout ce qu'on peut faire…

Toujours pas de résultats concernant les prises de sang ou le test pour la porphyrie. Ça marche comme ça ici : on vous laisse lambiner, on vous dit rien, et au bout de quelques semaines vous êtes censé vous dire que, bon, puisqu'on ne m'a rien dit, qu'on ne m'a pas téléphoné, c'est que les résultats sont négatifs. Pendant ce temps, la cervelle a fait cinquante mille fois le tour de la question, et certainement pas de façon « positive » et c'est un petit morceau de plus du restant de solidité mentale qui s'est détaché dans l'intervalle. Or une fois, deux fois, ça va. Mais au bout de cinq ans et de pas mal de tests et d'examens, ça commence à laisser des traces. Ils ont dû effacer un mot de tous les manuels de médecine des vingt dernières années : le mot rassurer. Le problème, c'est que ça s'achète pas non plus auprès d'une mutuelle ou d'une compagnie d'assurance, ça.

J'ai de la chance, il fait encore beau, et C. sera en vacances dans deux jours pour une semaine. Mais ça ne va pas durer. Ce sont des sursis, tout ça. Bientôt, il va faire mauvais, froid, C. sera au travail, le R se mettra à marcher de moins en moins bien, je vais devoir arrêter le Z et essayer de prendre autre chose, découvrir d'autres effets secondaires, supporter plusieurs semaines d'attente — et j'ai peur de tout ça.

En revanche, je reçois à l'instant un appel de B*** et il semble que le séjour dans la clinique privée se précise. Ça pourrait tout changer (s'ils trouvent quelque chose ou s'ils ont au moins quelque d'utile à proposer). Ça ne me rend pas particulière « optimiste » sur le coup, même après tout ce que m'a dit la secrétaire avec sa gentille voix américaine — je suis dans un état de délabrement trop avancé pour qu'une nouvelle comme celle-ci puisse aussi facilement me « requinquer ». Peut-être que cela aura un peu plus d'effet dans les jours qui viennent, encore que le stress de la préparation du voyage risque d'annuler tout effet positif. On verra.

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Une journée de plus (pas eu le temps de poster ceci hier soir) et toute la panoplie des idioties qui détruisent ma vie de façon systématique, une fois de plus : réveil relativement calme, petit câlin, petit-déjeuner sans état d'âme, on se dit même que ça pourrait une meilleure journée que la veille, ce qui ne serait pas une mauvaise chose, et puis on s'assied pour travailler, on envoie quelques messages, on prend le rythme, et soudain on se rend compte que la « chose » est revenue en rampant par derrière, qu'elle est en train de nous manger le milieu de dos et que ça rayonne comme la pire des saletés dans tout le reste du corps : ventre, tête, etc.

On se dit, c'est comme hier, ça va progressivement passer, peut-être, alors on continue ses activités, les divers appels téléphoniques, les jongleries habituelles et pas particulièrement stressantes, on laisse un message à la secrétaire de Dr M. pour lui dire qu'on s'en va à B***, comme par hasard il rappelle une demi-heure plus tard (alors qu'il n'avait jamais répondu au message laissé il y a quinze jours), ce revirement l'aurait-il piqué dans son orgueil de médecin capable de soulager les souffrances de ses patients, qui sait, on ne lui en veut pas, on sait que c'est le système qui est comme il est, on ne peut simplement plus attendre, je lui explique, il comprend, il me dit qu'il attendait d'avoir des nouvelles de Dr T. au sujet de mon rendez-vous d'il y a dix jours, soit il est naïf et ne se rend pas compte que Dr T., comme tous les autres, se fiche de mon cas comme de sa première chemise, soit il fait semblant, quoi qu'il en soit, il me dit qu'il va obtenir le résultat du test pour la porphyrie pour moi et qu'il va quand même essayer d'organiser l'IRM de ma colonne pour la semaine prochaine, le jour où je suis censé assister à une réunion de travail à H*** (et même présenter quelque chose — si je me sens aussi bien que ce matin, ça va être un beau spectacle), il va me rappeler plus tard dans la journée. Mouais. Disons que j'ai quelques doutes, d'autant qu'il est déjà presque cinq heures.

Je téléphone aussi à Y*** pour m'assurer qu'ils ont toutes les radios qu'il faudra que j'apporte à B***, y compris celle du lavement baryté. Je précise que Dr T. m'avait dit, il y a dix jours, qu'il allait leur demander de lui envoyer cette dernière pour qu'il puisse y jeter lui-même un coup d'oeil et élucider cette histoire de « colon trop large ». La fille vérifie dans ses fichiers électroniques. Aucune trace de demande de la part de Dr T. à cet effet. Sans commentaire.

Tout ça n'arrange pas mon dos, qui se fait de plus en plus « tenaillant », dont la douleur est de plus en plus atroce, je suis de nouveau « à la limite », je le dis à C., je vais m'allonger, ça passe un tout petit peu mais quand C. vient s'asseoir à mon chevet, les larmes se mettent à couler, je n'y peux rien, je ne peux pas m'empêcher, c'est l'accumulation. Ce n'est pas le déluge, mais ça dure quand même dix ou quinze minutes, la « tension » des pleurs distrait un peu mon corps de la douleur, c'est le petit peu que j'arrive à évacuer ainsi, ce n'est pas grand-chose et, quand je me relève pour partir avec C. (j'ai un peu de travail à faire à l'université avec G. avant d'aller à la piscine), je me sens vraiment à peine capable de faire les gestes nécessaires, me changer, mettre mes souliers, fermer la porte à clef, ce n'est pas une incapacité physique à proprement parler, c'est le poids du découragement qui enrobe la douleur et en fait un boulet semble-t-il incassable et de plus en plus pesant.

J'arrive à l'université, C. me dit de venir la voir si ça ne va pas, je me rends au bureau de G., j'essaye de prétendre que ça va, mais G. sait que je ne vais pas bien, enfin j'arrive quand même à faire ce qu'il faut faire, il est 12 h 10, temps d'aller à la piscine, je n'hésite pas vraiment, rien à perdre, et c'est toujours une heure de solitude en moins.

Je fais mes quarante longueurs presque normalement, avec tout juste un peu plus de pensées angoissées de temps à autre, je me douche, je rentre, je mange et tout reste en suspens jusqu'à l'appel de C. me demandant de venir la chercher. Il est 17 h, c'est encore à peu près en suspens, est-ce que ça va tenir ou pas, c'est la question, c'est toujours la question, tous les jours, tous les matins au réveil il faut constater que ça a lâché, il faut se demander si ça va se reconstruire facilement ou difficilement ou pas du tout — et, une fois que ça s'est reconstruit, il faut se demander combien de temps ça va durer.

J'adore l'odeur de la sève des sapins fraîchement coupés par notre charpentier-bûcheron et dont les bûches serviront à nous chauffer en attendant les grands froids exigeant un bois moins léger. (Je mentionne cela, parce que c'est à peu près la seule sensation normale que j'ai éprouvée aujourd'hui. À titre d'exemple.)

Z - Days 91 to 94 Z - Days 98 & 99

© 2000 Pierre Igot

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