SANS ÊTRE VU
Pris par le flanc


Il est clair que ce qui est sombre ne l’est que par devant. En arrière, là où les choses traînent et prennent la couleur de la terre, il n’est plus envisageable d’être proprement ténébreux. La saleté a l’avantage de rendre la teinte indéfinie. Les êtres et les objets ont l’air neutre et remplaçable. La beauté tire à sa fin, comme irrémédiablement corrompue. La nuit n’est plus noire.

C’est donc à l’avant qu’il faut concentrer toutes ses forces. Il faut dire les choses comme elles sont, être comme elles ont, faire comme elles font, épouser leur violence ou leur décrépitude, terroriser l’indifférence.

Ils sont tous pourris. Cela n’a pas encore été établi par la justice — et cela ne le sera sans doute jamais — mais cela saute aux yeux. Il est tout simplement impossible qu’il en soit autrement. On pardonne la tyrannie aux artistes parce qu’elle est (parfois) la conséquence d’un déséquilibre nécessaire. Mais eux n’ont tout simplement rien qu’on puisse leur pardonner — surtout pas le fait d’avoir voulu faire ce qu’ils font et de s’être laissé embrigader par le système. On les imagine fort bien à l’âge tendre où ils prétendaient encore avoir des « décisions à prendre », déjà obséquieux, déjà louches, déjà clairement destinés à la « carrière ». Elle est tellement sale qu’elle ne peut attirer que des reptiles. Il en reste encore quelques-uns qui ont l’art de se donner un tour gracieux. Mais ils sont eux-mêmes en voie de disparition. À quand remonte la dernière fois que vous avez trouvé une de ces limaces élégante ?

Je ne rentrerai pas dans les détails de la corruption, de l’argent huileux, des comptes gris. Il y a redondance des preuves. Je veux me concentrer sur les hommes et sur la légitimité de leur castration. Il faut les rendre inoffensifs, leur donner une voix fluette et un teint lisse. Il faut stopper net le jeu des hormones dans leur sang. Ils n’ont plus le droit de nous regarder faire l’amour et jouir qu’en eunuques imberbes, privés à tout jamais de leur organe. Alors, peut-être, les plus jeunes seront moins tentés. Leur viscosité naturelle les portera vers d’autres boues, moins nocives.

Mais surtout la castration immédiate de ceux et de celles qui sont en place nous permettra de vérifier une fois pour toutes la fausseté de leur reptilité : leurs queues ne repousseront pas (et ne survivront pas non plus toutes seules, détachées du reste).

Comment s’y prendre ? Mais par tous les moyens légitimes ou acceptables, bien entendu. On ne va quand même pas attendre la légalisation du mépris. (On attendra longtemps.) Les lézards n’ont déjà plus de colonne. Ils n’auront bientôt plus de couilles. Libre à eux alors de se manger la queue en récitant des évangiles. Ici, on fait dans le noir.

Il faudra ensuite se débarrasser du ventre. La paix et la digestion sont incompatibles. On se nourrira de vent et de pluie, et on laissera le soleil en sécher un peu pour l’hiver.

Les prochaines raisons valables d’imaginer seront électroniques. On n’y coupera pas. Elles ont déjà bouleversé la composition du groupe de ceux avec qui on fait la paix. Elles seront notre seul recours pour désarçonner l’état des choses et faire la guerre aux fantômes sans bouger. On s’y distribuera comme à l’appel du régiment, quand la soupe se mesurait encore en bols. La logique binaire fera autorité et les clichés militaires disparaîtront sous les calculs qui en épuisent la validité.

Les premiers pas seront rangés dans des tiroirs et la succession des fréquences ressemblera au cri du centre. Il faudra des artistes pour la déchiffrer. Le canon des nouveaux textes sacrés sera duplicable à l’infini et exploitable jusqu’au plus petit des points. L’heure exacte sera sans importance. (On pourra toujours la vérifier plus tard.)

Comme dans tout rêve suffisamment profond, j’ai oublié l’essentiel : on sera, au plus rapide de cette fuite en avant, pris par le flanc. C’est à ce moment que le fait d’avoir mis tout son poids devant prendra tout son sens : il n’existe pas de force qui puisse arrêter par les côtés un élan dont le centre coïncide avec son extrémité la plus avancée.

C’est du moins ce dont il faut se convaincre.


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