SANS ÊTRE VU
Vernissage


Vernissage

Petite pilule blanche pour soulager le poids d’être en rupture avec soi que je traîne quand je ne me le prends pas en plein visage sous la forme d’un masque qui s’enfonce par le haut du front jusqu’au plus profond de la colonne en passant par les minces traces de volonté dans le menton qui s’effacent.

Grand écart que mes jambes encore assez souples accueillent avec bienveillance et qui me permet d’atteindre l’autre rive sans trébucher, sans tomber à l’eau et ressortir amoindri. Grande retenue de l’image qui s’arrête là.

Maigre bilan d’une journée consacrée — à travers tout le reste, les tâches bêtes, stupides, nécessaires, distrayantes, coûteuses, automatiques, véridiques, démographiquement correctes qui remplissent l’écran à contempler le front et la nuque moites tandis que le temps sourd — maigre bilan d’une journée consacrée à repousser l’échéance, à boire, chier, roter, péter, éructer, déglutir, se moucher, éternuer, suer, ouvrir la fenêtre, prendre les bouffées d’air frais, le trouver trop frais, refermer un peu la fenêtre, se demander s’il faudrait mettre des chaussettes pour éviter d’attraper froid, répondre aux questions au téléphone, aux fax par des fax, aux messages par des messages, écrire des plaisanteries, des clins d’œil, des choses graves, des offres généreuses, des engagements qu’on veut pas vraiment prendre, lire des compliments, préparer mentalement un article — maigre bilan puisque, à cinq heures de l’après-midi, dans l’allée déserte du supermarché, il a bien fallu ressortir de nouveau la petite boîte ronde en plastique et y piocher un de ces comprimés minuscules qui filent entre les gros doigts, le faire glisser sous la langue et attendre en connaissant déjà la suite.

Meilleure soirée, évidemment, puisque les murs sont de nouveau secs, la vaisselle ne casse plus les oreilles, les nouvelles sont (fidèles au poste) insignifiantes, la nourriture passe en profitant bien de l’accalmie, la boisson sera de l’eau et du thé vert, le reste se termine tout doucement, sans projet autre que d’aller se coucher pour essayer de profiter de ce regain de paix pour donner une forme verbale à l’expérience, au cas où cela finirait, par accident (au bout du compte), à signifier quelque chose.

Moindre texte, donc, à cause de toute la douleur qu’il a fallu éliminer, y compris celle du motif du texte, moindre boucle, pas vraiment faite pour distraire par la pensée, moindre miroir qui s’est caché au moment d’être exact, moindre forme que celle du jet de pierre dans les pierres, d’eau dans l’eau, de sperme dans le sperme ranci des choses, quand elles se sont toutes dépouillées de la pression qui les rendait aimables et pucelles en vente libre.

J’aimerais bien donner à tout cela du caractère, des paysages, une comédie de noms et une intrigue entre taches — mais je pose mon regard avant, par habitude, par lassitude, par désespoir aussi, et ce que je vois sans être vu relèverait tout au mieux du catalogue d’une exposition.

Deux silhouettes souples et ludiques qui font l’amour par là, trois longs baisers au milieu qui découvrent des orifices, quatre narines penchées sur le produit dont la corrosion les rend uniformément vides de sensations calculables et de défauts reconnaissables, cinq paires de mains qui vous attirent dans un coin et qui vous faussent compagnie une fois qu’elles ont tout découvert, six votes pour l’histoire fictive, jeune et jolie à aimer le sud, sept heures avant le vernissage de mon prochain poids.


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